La synagogue d’Osthouse.
Jusqu’au début de ce siècle une importante communauté israélite habitait la commune et plus particulièrement autour de la synagogue rue de Gerstheim et dans la rue Etroite.
Mais y habitait également Lucy Salomon. Elle naquit en 1899.
Voici son histoire et celle des juifs d’Osthouse :
Son père était un marchand de bétail, un métier fréquent chez les juifs et très lucratif. Bien que très physique, ce travail demandait aussi une bonne compréhension de la mentalité des fermiers locaux. Lucy avait un frère aîné, Robert. Tous les deux fréquentèrent l'école du village où, au grand dam des juifs et de bien d'autres citoyens, la langue d'enseignement était l'allemand, et ce, de 1871 à 1918. Lorsque Robert et Lucy atteignirent l'âge normal pour quitter l'école, c'est-à-dire 14 ans, Robert fut envoyé à l'institut catholique Saint-Joseph, un pensionnat de garçons situé à Matzenheim. L'institut avait mis en place des mesures particulières pour les jeunes juifs et Robert faisait tous les jours le trajet aller et retour. Lucy alla en pension à Nancy, chez mesdames Aron et Weil, et c'est probablement là qu'elle vécut, pour la première fois de sa vie, dans un environnement entièrement français. La guerre imminente la ramena à Osthouse, à l'été 1914.
Village typique de cette région d'Alsace, planté au milieu de champs de betteraves, de mais, d'orge, de blé, d'avoine et de plans de tabac, Osthouse était et est encore une communauté agricole. Les archives prouvent la présence d'une communauté juive dans le village depuis le dernier quart du 17ème siècle. Après 30 ans de guerre, l'Alsace sortit épuisée et ruinée des combats, en 1648. La population d'Osthouse fut réduite à 20 ou 30 familles. Le village appartenait aux Bulach. Pour repeupler son village, la famille Bulach encouragea toutes sortes de gens à venir s'y installer. Elle autorisa notamment des familles juives, moyennant des frais de résidence et le paiement d'une taxe annuelle. Les juifs amenèrent au village leur esprit communautaire et leur sens des affaires.
Si beaucoup étaient pauvres, voire indigents, leur détermination à travailler dur apporta la prospérité, du moins pour quelques-uns et pour la cité. Ils pratiquaient le commerce du bétail, du houblon, du grain, des terres, du cuir et des peaux, ils vendaient des marchandises et des vêtements au marché et de porte à porte, en visitant des villages voisins et les fermes. Le Terrien de 1683, cité par Antoine Kipp dans La communauté israélite à Osthouse, souligne qu'en 1683 une seule maison du village appartenait à un juif, nommé Isaac Heilbrunn. Sa description correspond à la propriété, avec deux maisons de chaque côté du chemin, où la première synagogue fut érigée au début du 18ème siècle. Devenue trop petite pour la population qui ne cessait de croître, elle fut remplacée par un nouveau bâtiment, en 1865.
Entre 1685 et 1731, cinq maisons furent achetées par des juifs. En 1784, Osthouse comptait 450 habitants, dont 387 catholiques et 63 juifs représentants 14 familles juives. Il n'y avait qu'un veuf. Toutes les autres familles étaient constituées de couples, la plupart avec enfants. Certaines familles avaient un enfant marié, par exemple, un fils et son épouse, et tous vivaient sous le même toit. On dénombre une famille avec une bonne juive. La plupart des hommes et des garçons avaient des prénoms bibliques ou très communs, tandis que les femmes et les filles avaient plutôt des prénoms d'origine yiddish. En juillet 1808, un décret impérial obligea les juifs à adopter un patronyme. Plusieurs, qui en avaient déjà un, le gardèrent ou en profitèrent pour se choisir un nouveau prénom. D'autres saisissent cette occasion pour changer à la fois de prénom et de patronyme en optant pour des noms à consonance plus française. C'est ainsi que Hefe Levi devint Ève Levi, que Morle Ebstein se prénomma Marieanne Ebstein et que Leibel Wolff s'appela Léopold Blum.
Les rapports d'archives de 1807-1808 relatifs au nombre de juifs dans le village varient quelque peu. En 1807, on recense 618 catholiques, 30 calvinistes et 86 juifs (11,7 % de la population). L'année suivante, on dénombre 109 juifs pour une population totale de 718 âmes (15.15% de la population). C'est en 1851 que l'on trouve le plus grand nombre de juifs habitant à Osthouse : 183 individus pour une population totale de 836 âmes (21.88% de la population). Selon les minutes de l'assemblée du conseil d'Erstein en date du 3 novembre 1864, une proposition fut débattue à propos de l'implantation d'une école communale israélite à Osthouse pour les enfants juifs d’Osthouse et d'Erstein, ce qui prouve l'importance de la présence juive à Osthouse. Cette proposition fut rejetée sous prétexte que les petits juifs d'Erstein avaient accès à l'école laïque d'État gratuitement ! La première école juive pour filles, financée par des dons, ouvrit ses portes à Strasbourg, en 1844. Ce n'est qu'au début du 20ème siècle que s'ouvrirent des écoles juives dans des petites villes à fortes communautés juives, comme Bischheim, Ingwiller, Brumath ou Obernai .
Jusqu'à l'avènement de la Première République, on interdisait aux juifs de vivre dans certaines villes. Ils y avaient accès le jour, moyennant une taxe, pour y poursuivre leurs activités commerciales, mais ils ne pouvaient pas y passer la nuit. Ils devaient retourner dans leurs villages, comme c'était le cas à Erstein où la cloche de l'église sonnait à 22 heures. En 1850, une communauté s'était établie à Erstein. Les juifs étaient propriétaires de magasins, d'ateliers de menuiserie et de rembourrage. La première synagogue fut construite en 1882 et, en 1904, le conseil de ville donna aux juifs un terrain pour y implanter un cimetière.
En 1920, Erstein comptait une communauté juive de 160 membres, plusieurs boucheries cashères et un aubergiste juif.
Progressivement, les familles juives quittèrent Osthouse, séduites par les meilleures occasions d'affaires, un rang social plus élevé et une meilleure éducation qu'offraient des villes voisines, comme Erstein, Sélestat et Strasbourg, avec de plus grandes communautés.
A Osthouse c’est en août 1866 que les autorités locales et religieuses inaugurèrent la nouvelle synagogue. Elle succédait à un premier bâtiment de culte devenu trop vieux et inadapté. En 1910, on ne comptait plus que 43 juifs à Osthouse; en 1936, tous les juifs avaient quitté le village. Suivant le mouvement, les parents de Lucy vendirent leur maison, rue des Pierres à Osthouse, pour en acheter une beaucoup plus grande, à deux étages, au numéro 5 de la rue de l'Église, à Erstein. Ils y emménagèrent avec leur fils et leur fille, le 15 avril 1920. Lucy était alors en âge de se marier, elle avait 21 ans.
En 1943 la synagogue d’Osthouse fut mise en vente par les nazis. La ruine fut arasée en 1989.
En 2015, certaines pierres issues de l’ancienne synagogue et jusque-là entreposées dans le jardin du presbytère ont permis de faire un beau muret sur le rond-point à l’entrée sud du village.